Dossier sur Bioshock Infinite : La culture qui s’étale comme de la moisissure !

Musique jazz à fond dans les oreilles, j’ai révisé la constitution américaine, le patriotisme, l’esclavage, le massacre des indiens… Un fond d’écran inspiré de Mucha, je suis incollable sur les fondements de l’Art Nouveau, du cinéma et du Steampunk. Enfin, un recueil de poésies trône sur ma table de chevet, le titre : « La légende des siècles » de Victor Hugo.

Mucha
Scène de la signature de la Constitution des Etats Unis et illustration promotionnelle pour le jeu : 

L’objectif de ce dossier est d’attiser votre curiosité sur l’histoire des Etats Unis et de vous rendre incollable sur l’uchronie qu’est Bioshock Infinite. Découvrez les horreurs, mais aussi les merveilles de l’humanité. Celles qui se cachent derrière la dystopie de Columbia, mais aussi la richesse de notre histoire.

Dans ces deux récits (réel et fictif), les points communs sont nombreux. L’année 1900 et son exposition universelle sont le tournant d’un nouveau siècle, appelé aussi Belle Epoque. Mais l’histoire ne s’est pas écrite sans quelques litres de sang. Le pouvoir de l’Etat s’est emparé de l’art et de la religion pour manipuler le peuple, et effacer les contestations.

Exposition universelle de 1900
Bioshock Infinite : concept art de Ben Lo

Pourtant, derrière ces terribles conflits, germent les plus belles (r)évolutions techniques, artistiques et sociales.

Laissons les derniers mots de cette introduction au directeur créatif de Bioshock Infinite, Ken Levine :

« Nous ne nous inspirons pas de fiction, c’est l’histoire qui nous inspire. Nous essayons de capter le sentiment d’une époque (…) En 1880, les gens ne connaissent que la vapeur, 20 ans plus tard, ils pouvaient téléphoner, aller voir un film, conduire une voiture. Columbia ressemble à l’Amérique ou à la France au tournant du 20ème siècle. » 

Bioshock Infinite, teaser  :

. Les pères fondateurs et le patriotisme :

Dans Bioshock Infinite, Levine malmène l’histoire américaine et défigure les icones présidentielles.

Petit rappel historique, en 1620, une centaine de personnes arrivent du Mayflower,          « Les pères pèlerins », qui espèrent trouver paix et liberté de culte. Se comparant souvent au peuple hébreu, ils parlent de terres promises. Le pasteur Cotton Matther les incite à l’optimisme, leur rappelant que le chemin peut être semé d’embûches.

Pilgrim fathers (frères pèlerins)

Le parallèle avec Bioshock Infinite est assez évident avec la figure du prophète Comstock. En effet, sa voix vous guide vers un nouvel Eden, puis le chemin de la Rédemption grâce au baptême. Par la suite, lorsque vous arrivez à Monument Island, vous retrouvez les statuts des trois pères fondateurs : George Washington, Thomas Jefferson et Benjamin Franklin, détenant la clef, le parchemin et l’épée :

Ces trois pères fondateurs présents dans Bioshock Infinite ont un rôle important dans l’histoire du nouveau monde. Ils font partie des membres de la Convention de Philadelphie qui ont signé la Constitution des États-Unis, en Pennsylvanie, le 17 septembre 1787. Cette Convention réunit au total cinquante cinq délégués élus par les assemblées des États. Tous sont par définition des pères fondateurs et sont considérés parmi les hommes politiques les plus brillants du pays à l’époque. Thomas Jefferson (1743-1826) lui-même décrit la Convention comme une « assemblée de demi-dieux ». Ce qui n’est pas loin de l’idéal proclamé par Comstock.

Portrait de Georges Washington et « motorized patriot » dans Bioshock :

Considéré comme l’un des Pères fondateurs des États-Unis, George Washington (1732-1799), a fait l’objet de nombreux hommages depuis la fin du 18ème siècle. Son engagement dans la Révolution américaine ainsi que sa réputation le portent au poste de commandant des troupes américaines, qu’il organise et mène à la victoire finale. Après le conflit, il participe à la rédaction de la Constitution américaine et fait l’unanimité lors de la première élection présidentielle. Cette figure majeure des Etats Unis est reprise dans Bioshock Infinite. Vous retrouvez George Washington en automate défiguré, devenu un puissant ennemi surarmé. Dans la vidéo ci-dessous, Ken Levine explique l’utilisation de cette image noircie du premier président des Etats Unis.

Vidéo sur le Motorized patriot :

Columbia désigne une figure allégorique qui personnifie les États-Unis comme l’est Marianne pour la France. Elle apparaît souvent dans les dessins de presse politiques au début du 20ème siècle. À l’origine, Colombia (Colombie de Christophe Colomb) est un surnom en hommage à l’explorateur espagnol. Avec la construction de la Statue de la Liberté, ce titre est tombé en désuétude, mais reste un symbole historique et poétique fort.

Columbia

Personnification féminine des Etats Unis, Columbia a aussi donné son nom à une université, une capitale, une rivière… Dernièrement, elle prête son titre à la ville flottante de Bioshock Infinite. Et ce n’est pas par hasard que Ken Levine et l’équipe d’Irrational Games utilise ce patronyme. En effet, le prophète, Comstock, a érigé cette ville comme symbole utopique de bonheur et de prospérité. C’est aussi une figure patriotique, où l’étranger est bienvenue à condition de servir aveuglément son pays (du moins la personne au pouvoir). Dans les deux cas (fiction ou réalité), Columbia est perçue comme une figure divine, vouée à guider son peuple.

bioshock-infinite-columbia-floating-city

Cette icône a été rapidement remplacée par la statue de la liberté, création de Frédéric Auguste Bartholdi, sur une armature de Gustave Eiffel. Inaugurée en 1886, sur Liberty Island , elle est d’abord nommée « La liberté éclairant le monde ». Symbole de réussite à ceux qui se lancent sur le territoire des Etats Unis, et qui acceptent le moule du                   « American Way of Life ». Le symbole de la statue de la liberté a donc aussi sa place parmi les ennemis rencontrés dans l’environnement totalitaire de Bioshock Infinite.

Ken Levine s’explique à propos de l’introduction de Bioshock Infinite :

« Le début du jeu, avec le baptême, est très fort pour sa symbolique de l’immersion dans un monde fantastique. Le joueur se fait baptiser au nom de Booker Dewitt, c’est un transfert de personnalité. Les évangélistes voient le baptême comme le moyen de devenir une nouvelle personne « born again ». Je ne suis pas religieux, je n’y crois pas, mais c’est un thème qui m’intéresse. (…) Chaque jeu est un nouveau baptême. C’est pour cela qu’on parle d’immersion, on baigne dans un monde alternatif. »

Effectivement, se plonger dans Bioshock Infinite, c’est faire l’expérience d’un grand voyage dans une esthétique unique. Comstock est un prophète illuminé aux idéaux fascistes. Car il fait régner la terreur politique via « l’Ordre fraternel du grand Corbeau », dans un monde totalitaire sans autre issu que la rédemption. Ainsi Mme Comstock, sa femme, a enregistré les paroles suivantes : « Aimez le pêcheur car c’est vous. Sans le pêcheur, quel besoin d’un rédempteur ? Sans le pêché, quelle grâce pour le pardon ? »

Retour à la réalité, si l’Eglise et l’Etat sont séparés, la religion est très présente dans la République Américaine. Comme le souhaitent les puritains, beaucoup d’américains ont le sentiment que leur nation est le peuple élu évoqué par la bible. La révolution industrielle américaine s’accorde donc parfaitement avec la religion. De plus, le nationalisme est un fort sentiment de fierté nationale. Alors le pouvoir américain convainc les citoyens qu’ils ont le droit et même le devoir de s’agrandir et de déterminer le destin d’autres pays. Evidemment, ce sentiment de domination ne va pas sans quelques penchants au combat.

Le tournant du 19ème siècle est aussi une étape propice aux affiches de propagande que l’Etat utilise pour imposer des idéaux patriotiques. Politique et religion, comme dans Bioshock Infinite, sont alors intimement liés, au service des plus puissants et armés. Dans une lettre adressée à un ami en 1897, Théodore Roosevelt (1858-1919) écrit :

« Je suis ouvert à quasiment n’importe quelle guerre, car je pense que ce pays en a grand besoin ».

Affiche de propagande américaine et une dans Bioshock Infinite :

. Parc d’attractions et massacres :

Nous l’avons démontré, Bioshock Infinite permet ce choc unique entre réalité historique et fantasme. A ce propos, Ken Levine explique :


« Nous avons visité de nombreux musées de Fun Fairs pour essayer de comprendre comment une attraction est mise en valeur pour marquer les gens. Il fallait construire Columbia comme une vision de l’Amérique. Mais c’est une vision propre à Comstock qui est très fantasque, presque cartoonesque. »

Justement, c’est au moment de visiter « l’attraction » de Wounded Knee que la cruauté sanguinaire de Comstock se dévoile le plus. De manière burlesque et poignante, ce parc d’automates permet d’en apprendre plus sur la véritable histoire du 7ème régiment et du massacre de Wounded Knee.

En 1876, débute la guerre des Black Hills. Lors de la bataille de Little Big Horn, le 25 juin 1876, les cinq compagnies du lieutenant Colonel George Armstrong Custer sont anéanties. Le 29 décembre 1890, la 7ème cavalerie commet le massacre de Wounded Knee. Entre 300 et 350 amérindiens ont été tués par l’armée des Etats Unis. Les cadavres furent entassés dans une fosse commune. Or, dans Bioshock Infinite, les faits sont révélés brutalement dans une attraction infernale. Enfin, dans le hall des héros, sur la statue de Comstock, est inscrit :

« 1874 : Naissance de Comstock ; 1890 : Bataille de Wounded Knee ; 1893 : Ville de Columbia »…

Illustration pour Bioshock Infinite :

Bioshock_Infinite_Concept_Art_Ben_Lo_17b

. Pauvreté, esclavage, et ségrégation :

Le 19ème siècle aux Etats Unis est le commencement d’un grand plan de construction et d’industrialisation du pays. Or, le progrès exige énormément de travail, et la majeure partie est fournie par des immigrés. Plus de cinq millions déferlent sur le continent américain dans les années 1880’s. Cette arrivée massive de nouvelles personnes entraîne de fortes inégalités sociales et économiques. Alors que les riches (descendants des premiers colons) s’enrichissent, les pauvres s’épuisent au travail.

Cette vision caricaturale (mais réelle) est reprise dans Bioshock Infinite. Sans avoir beaucoup à déformer la réalité, le monde gouverné par Comstock est divisé en deux couches populaires. Dans cet ensemble d’ilots reliés par des aérotrams, les populations ne se mélangent pas. Votre entrée à Columbia se passe par le jardin d’Eden, puis la fête foraine. En apparence, ces lieux sont des havres de paix pour les nantis, où vous planez sous un ciel bleu (au sens propre et figuré). En revanche, la découverte des quais de Finkton est moins idyllique.

Quai de Finkton par Daniel Keatan

Vous débarquez dans un endroit sombre, poussiéreux, obscurcis de nuages. Les rues sont sales et de nombreux panneaux rappellent que les basses corvées reviennent aux personnes de couleur. A ce propos, Comstock s’exclame :

« Aucun animal ne nait libre à l’exception de l’homme blanc, et c’est notre fardeau de prendre soin du reste de la création ».

Si vous pensez que ce racisme n’est valable que pour Bioshock Infinite, détrompez-vous !

Fin du 18ème siècle, pour fournir la main d’œuvre suffisante à la construction du nouveau monde, des esclaves sont amenés de force d’Afrique. Ils sont une marchandise comme une autre. Parmi les pères fondateurs, Thomas Jefferson écrit :

« Parmi ces droits, se trouvent la liberté et la recherche du bonheur. Mais si les textes évoquent l’égalité de tous les hommes, ils ne s’appliquent qu’aux citoyens masculins blancs, excluant les femmes, les noirs, et les indiens. »

Après la guerre de Sécession, l’esclavage est aboli en 1877. Mais le gouvernement des Etats Unis impose les Lois Jim Crow pour la ségrégation raciale. Celles-ci imposent la séparation de l’homme blanc et noir dans les espaces publics. Certains endroits sont même interdits. Ces terribles lois ne seront abolies qu’avec les mouvements civils des années 1960’s.

Scène tirée de Bioshock Infinite et photographie sur la ségrégation :

. Le soulèvement des classes :

Bioshock Infinite est une dystopie. Son récit met en garde le lecteur en montrant les conséquences néfastes d’une idéologie. Au lieu de proposer un monde parfait, elle montre un des pires qui puisse exister. Elle est vécue au quotidien par des habitants du lieu, qui subissent ces lois. C’est le cas de la Vox Populi dans Bioshock Infinite. Et dans une moindre mesure, des immigrés noirs pour l’histoire du Nouveau monde. Nous comprenons à leur souffrance, que ces lois ne sont pas aussi bonnes que le discours officiel le prétend.

Ce renversement de point de vue passe par un héros qui retrouve lucidité et conscience de soi. Mais le monde n’est pas si manichéen. Selon Montesquieu (1689-1755) : « Tout homme qui a du pouvoir est amené à en abuser », alors que pour Victor Hugo (1802-1885) : « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent » .

Dans le monde de Bioshock Infinite, en 1912, citons l’arrivée de Booker Dewitt et la révolte de Daisy Fitzroy, porte parole de la Vox Populi.

Quant aux Etats Unis, les premières voix de la contestation se soulèvent en 1883. Pittsburg accueille un congrès anarchiste. Il en sort une déclaration qui appelle à l’égalité des droits pour tous, sans distinction de sexe ou d’origine ethnique. Elle cite le manifeste Communiste :  

                   « Prolétaires de tous les pays, unissez vous ! Vous n’avez rien d’autre à perdre que vos chaînes, rien d’autre à gagner que le monde. »

Par ailleurs, Malcolm X (1925- 1965), prêcheur musulman afro-américain, est une figure importante pour la défense des droits de l’homme :

« La mort ne me fait pas peur car elle est pour moi qu’un instant où on disparaît sur la terre, cela n’a pas trop d’importance pour moi. La lutte est une source d’apaisement et de changement ici bas. ».

Aux yeux de ses admirateurs, il est un défenseur courageux, ayant mis en accusation les États-Unis pour ses crimes. En revanche, ses détracteurs l’accusent d’avoir prêché le suprématisme et la violence.

Malcolm  X et Daisy Fitzroy :

. Le gospel et le jazz :

Heureusement, ces révolutions contre l’autorité ne sont pas seulement signe de violence et de guerre. Parfois, elles donnent naissance à une nouvelle forme de culture et d’expression artistique. C’est ici le cas de nouvelles créations musicales, et d’un métissage des hommes blancs et noirs.

Le jazz est né aux Etats Unis, au début du 20ème siècle, d’un mélange de musiques élaborées par les noirs américains. Ses ancêtres sont les « work songs », chants de travail des esclaves africains, et les chants religieux, negro spirituals et gospel, qui sont chantés dans les églises lors de cérémonies religieuses.

La bande originale de Bioshock Infinite regorge de reprises de musiques jazz. Au répertoire, nous pouvons citer St. James Infirmary de Louis Armstrong, Shiny happy people de R.E.M et Shake sugaree d’ Elizabeth Cotten. Ce choix n’est pas anodin et laisse une atmosphère datée et originale, qui rappelle ne fois de plus les Etats Unis au 20ème siècle.

 

Cette musique métisse réunit donc les cultures africaine et occidentale. Choisir le jazz est donc tout approprié pour donner vie à Columbia. Car, que ce soit les chants religieux du début pour le baptême, ou les enregistrements trouvés dans les usines, cette musique est intemporelle. Elle convient parfaitement à ce voyage dans un temps et un espace si lointain et imaginaire et pourtant si proche.

Scène d’introduction de Bioshock Infinite et groupe de Gospel :

. Révolution industrielle et construction :

La révolution industrielle désigne le processus historique du 19ème siècle qui fait basculer une société à dominante agraire (agriculture) et artisanale vers une société commerciale et industrielle. L’Epoque victorienne au Royaume Uni, de 1837 à 1901, marque l’apogée de la révolution industrielle. Celle-ci s’étend sur de nouveaux territoires pour atteindre les Etats Unis à la fin du 19ème siècle.

Bioshock Infinite se déroule dans ce climat de révolution industrielle. Columbia est une ville toute « neuve », dont nous découvrons la grande machinerie en seconde partie du jeu. Les quais de Finkton, l’armurerie de Fink, et le grand Handyman ne sont que quelques figures de ces radicaux changements.

Concept art de Ben Lo

Par ailleurs, les aérotrams qui relient les différents quartiers rappellent la construction de grandes voies ferroviaires, aux Etats Unis, courant du 19ème siècle. Entre la guerre civile et 1900, vapeur et électricité remplacent la force humaine. Cette transformation, tirée par le boom ferroviaire des années 1840, affecte profondément la société et son environnement. Avec la révolution de l’industrie du chemin de fer, on compte 420 000 km de voies ferrées en 1913, contre 85 100 en 1870.

Enfin, les grattes ciels de New York sont conçus pour tirer meilleur parti possible d’un espace limité, et témoigner de la puissance et du prestige du pays. En 1902, soixante-six gratte-ciel surplombent Wall Street.

Un ouvrier assis sur une poutre metallique sur le chantier de construction de l’Empire State Building a Manhattan, New York, 1930 (au fond : le Chrysler Building), photo par Lewis Hine — Middle aged iron worker at the Empire State Building construction site, 1930. The Chrysler Building’s spire is at right. Photo By Lewis Hine. (BSLOC_2013_8_226)

Difficile de s’amuser à compter les monumentaux bâtiments de Bioshock Infinite, en 1912. En tout cas, ils sont nombreux à atteindre des cimes pour se perdre dans les nuages. Ces constructions sont aussi une référence aux travaux haussmanniens qui ont donné ces grands boulevards et places dégagées de Paris, dès 1870. Or, ces vestiges de bourgeoisie sont un hommage à l’Art Nouveau, et une source d’inspiration intemporelle.

Voici une vidéo sur l’exposition universelle de 1900 :

Le premier teaser de Bioshock Infinite est très proche de l’époque victorienne, au Royaume-Uni :

. L’art nouveau :

L’Art Nouveau est né de ces bouleversements engendrés par les révolutions industrielles qui se sont succédées au 19ème siècle. La lithographie couleur, le travail du métal, du verre et du placage argenté ne sont que quelques exemples de cette relation entre l’art et l’industrie.

C’est un Art total qui proclame l’unité parfaite des nouveaux matériaux, comme le fer, le verre, et le ciment. Dans son entretien sur l’architecture, Eugène Viollet-le-Duc (1863-1872) explique : « Une construction est un tout formé par sa structure, les matériaux, et l’ornement qui tient de l’édifice non comme le vêtement, mais comme les muscles et la peau tiennent à l’homme. »

Eugène Viollet-le-Duc

Ainsi, l’essor d’une bourgeoisie libérale cultivée et férue d’art contribue fortement à l’épanouissement de l’Art Nouveau. Ce mouvement a pour ambition de fonder un style qui ne doive rien du passé et qui imprègne tous les niveaux de l’activité quotidienne, de l’architecture à la mode vestimentaire, dans la rue comme dans les intérieurs.

Pour notre histoire, en 1894, Victor Horta construit une première maison bourgeoise pour le riche industriel Emile Tassel.

Horta

Quant à Bioshock, Columbia, tout comme Rapture, sont des villes imprégnées de ce style Art nouveau. Les bâtiments, le mobilier, les costumes, mais aussi la typographie et les images promotionnelles sont un hommage à ce courant artistique. Que ce soit Horta, Ryan ou Comstock, l’idéal de beauté proposé par la bourgeoisie est un élément marquant qui bouleverse le milieu de l’art, au tournant du 19ème siècle.

L’Art Nouveau est aussi caractérisé par l’utilisation d’arabesques et de lignes très stylisées aux formes souples. Pour son hôtel, Horta ne reconnait qu’une seule source d’inspiration, la nature. Les créateurs sont séduits par les qualités linéaires de la plante et par son expression d’une forme organique. En 1899, Hector Guimard proclame : « C’est à la nature toujours qu’il faut demander conseil. » L’image de la femme, avec ses belles courbes, l’ondulation de ses cheveux, et sa sensualité sont aussi un élément essentiel pour donner vie à l’Art nouveau. Le peintre et affichiste Alphonse Mucha (1860-1939) est l’artiste le plus prolifique et emblématique de son époque, en Europe. Elizabeth et le Song Bird de Bioshock Infinite sont aussi les personnages principaux de l’intrigue. Ils sont parfaitement en accord avec le mouvement artistique de l’Art Nouveau mis en avant par l’environnement du jeu. Il suffit de regarder cette image promotionnelle et l’attention portée à ces deux figures pour s’en convaincre.

Image promotionnelle Bioshock Infinite et affiche publicitaire illustrée par Mucha :

. Les nouvelles inventions :

La ville de Columbia, dans Bioshock Infinite, vole parmi les nuages. Cette extravagance des développeurs d’Irrational Games est quand même en lien avec les nouvelles inventions du 19ème siècle. En effet, cette merveilleuse époque voit l’arrivée des aérostats. C’est-à-dire des moyens de transport « plus léger que l’air », capable d’évoluer au sein de l’atmosphère terrestre. Dans le ciel de Bioshock Infinite, nous trouvons des nacelles volantes, des aérotrams et leurs stations, des navettes, ainsi que des zeppelins. Dans notre histoire, c’est le comte allemand Ferdinand Von Zeppelin qui en commence sa construction à la fin du 19ème siècle. Dans la langue usuelle, le mot zeppelin désigne par extension, n’importe quel ballon dirigeable.

D’autres inventions telles que le télégraphe, le téléphone, et la machine à écrire, qui permettent d’accélérer les échanges commerciaux, sont des symboles de la fin du 19ème siècle et d’une nouvelle ère. Dans Bioshock Infinite, découvrir tous les secrets de Columbia nécessite de trouver tous les Kinétoscopes.

Son inventeur, Thomas Edison (1847-1931) est un talentueux ingénieur : « Je n’ai pas échoué. J’ai simplement trouvé 10 000 solutions qui ne fonctionnent pas ». L’ampoule électrique, le phonographe, le microphone, et le télégraphe ne sont que quelques unes de ses 10 000 créations.

Quant aux voxophones, c’est une création originale des développeurs d’Irrationnal Games, qui permet à Bioshock Infinite de s’étendre au-delà du réel.

Le kinétoscope de Thomas Edison et le kinétoscope de Bioshock Infinite :

Imaginaire, révolte et poésie :

. L’imaginaire Steampunk :

Columbia , la ville de Bioshock Infinite, est comme un monstre rétro futuriste, hybride entre Boston (fondée en 1630 par les pères pèlerins) et Metropolis (mégalopole imaginaire au cœur d’une société dystopique, crée en 2026) du réalisateur Fritz Lang. Bioshock Infinite reprend donc des éléments du passé, s’autorisant des libertés sur des inventions qui n’existent pas. Mais qui auraient pu exister, si la révolution industrielle s’était passée autrement. C’est en cela que l’œuvre de Ken Levine, tout comme celle de Fritz Lang, est à rapprocher du mouvement Steampunk.

Le mouvement Steampunk est une uchronie (Reprendre le passé avec « Et si… »), où l’essor considérable de la machine à vapeur dans la société industrielle du 19ème siècle conduit à l’absence du développement des techniques du pétrole et de l’informatique. L’origine du mot « Steampunk » vient d’une lettre envoyée par K.W. Jeter à un magazine, Locus, vers 1980. Il parodie le terme « cyberpunk » afin de qualifier les fantaisies victoriennes de ses deux acolytes, Tim Powers et James P. Blaylock. Pour résumer, le Steampunk n’est qu’une imitation du tournant du 19ème siècle, avec une mise en scène de gadgets anachroniques.

Les inspirations culturelles de ce mouvement sont nombreuses. Jules Verne (1828-1905), auteur prolifique est une référence importante, pour enrichir cet univers de science fiction déluré. Son œuvre est connue dans le monde entier. A plus d’un égard, Jules Verne peut être considéré comme le père spirituel du genre Steampunk. Son recueil « Les aventures extraordinaires » comprend « Cinq semaines en ballon », « De la terre à la lune », « Vingt mille lieues sous les mers »,… Et surtout « Une ville flottante ».

Jaquette pour Bioshock Infinite et « Les Voyages extraordinaires » de Jules Verne :

L’anecdote qui va suivre n’est pas anodine pour la conclusion de ce dossier, avec l’influence de l’Histoire et de la culture sur Bioshock Infinite. Lancé en 1858, le Great Eastern est un énorme navire faisant la traversée Liverpool/New York, à bord duquel se trouvent plusieurs milliers de personnes. C’est le plus grand navire construit à son époque, dont l’usage massif de la vapeur permet d’actionner la machinerie de cet immense paquebot de luxe. Il est aussi célèbre pour ses malheurs et ses échecs qui lui ont donné une réputation de navire maudit. Des légendes rapportent que lors de sa démolition, deux cadavres ouvriers emmurés vivants sont découverts dans la double coque. Alors, Jules Verne qui a effectué à son bord une traversée, lui dédie son roman « une ville flottante », en 1871. Tandis que Victor Hugo lui rend hommage dans « La légende des siècles », publié en 1859.

Dessin du paquebot Le Great Eastern et Concept Art pour Bioshock Infinite :

. La poésie révolutionnaire :

La légende des siècles est un recueil de poèmes de Victor Hugo (1802-1885), conçu comme un immense ensemble destiné à dépeindre l’histoire et l’évolution de l’humanité. Il n’a recherché ni l’exactitude historique, ni l’exhaustivité. Au contraire, il s’attache le plus souvent à des figures inventées, le plus souvent obscures, mais qui incarnent et symbolisent leur âge et leur siècle.

La légende des siècle est l’œuvre d’un auteur unique, Victor Hugo. Un poète, et surtout révolutionnaire, qui tend le miroir de l’humanité.

« Ce livre, c’est le reste effrayant de Babel C’est la lugubre tour des choses, l’édifice Du bien, du mal, des pleurs, du deuil, du sacrifice Fier jadis, dominant les lointains horizons Aujourd’hui n’ayant plus que de hideux tronçons Epars couchés, perdus dans l’obscure vallée C’est l’épopée humaine, âpre, immense, écroulée »

Ken Levine, quant à lui, est un auteur du 21ème siècle qui cherche aussi à retranscrire l’ambiance d’une époque. Dans Bioshock, il dépeint les vices d’une société, ses travers et ses révoltes. Mais c’est aussi un hommage à la créativité de l’Homme et son éclat à combattre les injustices.

Ken Levine

Enfin, l’Histoire nous montre que nos erreurs sont un éternel recommencement. Alors, Ken Levine et toute l’équipe d’Irrational Games tente aussi de nous faire réagir :

« Quand le joueur s’arrête sur un détail ou une anecdote, il faut qu’il y ai une histoire. Quelque chose qui s’est passé ou se passe avec lui. Chaque détail doit faire naître le début d’un roman, c’est la narration par l’espace (…) Il n’y a qu’une seule question qui compte à mes yeux, quelque soit la forme d’art, cela me fait-il réfléchir ? »

Vidéo, musique Bioshock Infinite, Will the circle be unbroken, 2013 :

Vidéo, musique originale, Can the circle be unbroken, 1927 :

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