Ico est sorti sur PlayStation 2 en 2010. Pour certain.nes, le jeu fut vite oublié au rang des titres sans intérêt. Pour d’autres, c’est une œuvre d’art poétique qui a bouleversé toute une époque du jeu vidéo.

Quant à Giorgio De Chirico (1888-1978), sa peinture oscille entre métaphysique et traditions. Fumito Ueda a également ce goût pour la modernité et le retour aux sources. Deux artistes, deux époques, deux continents, mais cette même émotion de mélancolie et d’inquiétude.
Teaser d’Ico :
Giorgio De Chirico et Fumito Ueda :
Pour raconter les aventures d’Ico, Fumito Ueda a imaginé un univers fantastique et inquiétant. Ce fut une telle réussite que, pour beaucoup, la véritable vedette du jeu n’est autre que cette oppressante forteresse qui retient captif Ico et Yorda. Mais celle-ci n’aurait peut-être pas existé sans l’œuvre de Giorgio de Chirico.
Ueda a lui-même dessiné la jaquette européenne. La couverture du jeu est ainsi un mélange de « La Nostalgie de l’infini » avec « Mystère et mélancolie d’une rue ». Chez ce game designer, la peinture n’est pas seulement une passion, c’est une véritable inspiration. Rien d’étonnant car Fumito Ueda a étudié l’art abstrait à l’Université des beaux-arts d’Osaka avant de se tourner vers l’art interactif.

Des couples prisonniers :
Vous jouez Ico. Un garçon né avec des cornes et prisonnier d’une immense forteresse abandonnée. En tentant de s’échapper, il libère une autre prisonnière : une jeune fille frêle et lumineuse appelée Yorda. Leur destin semble lié car des ombres menaçantes sortent régulièrement du sol pour essayer de l’emporter. Ico doit donc la prendre par la main, la protéger et utiliser ses pouvoirs pour qu’ils puissent s’échapper ensemble de cette prison maudite. En contrepartie, Yorda utilise son pouvoir de lumière pour lui ouvrir le chemin.

Dans l’œuvre de Giorgio de Chirico. On retrouve des pantins, qui se tiennent deux par deux. Faites de bric et de broc, ces marionnettes sont soutenues par des fils ou des cadres en bois sans lesquels elles s’effondreraient. Elles donnent à leur tour une impression de vulnérabilité. C’est peut-être pour cela qu’elles sont enlacées, toujours représentées en couples, comme pour se protéger l’une l’autre.

Que ce soit dans « Les Muses inquiétantes » ou « Hector et Andromaque », on retrouve cette sensation de fragiles marionnettes enfermées dans leur tableau.
Si les couples de Chirico forment une seule entité, celui de Ueda est tout autant indissociable. Ico protège Yorda tandis que Yorda ouvre les portes à Ico.

Le tableau « Poète triste consolé par sa muse » représente un mannequin assis dans un fauteuil et consolé par son compagnon. Cela rappelle ces scènes où Ico doit amener Yorda à s’asseoir sur un banc pour permettre au joueur de sauvegarder la partie. Qu’ils soient des silhouettes dans l’immensité ou un couple de mannequins fragiles et solidaires, les habitants des tableaux de Chirico sont les échos des personnages de Ueda.

Vide et mélancolie :
Les deux œuvres offrent des vides immenses, désertés d’habitants d’où émerge un sentiment de solitude. Chirico et Ueda ont bâti leurs univers sur les mêmes sensations.
Tout au long de sa période «métaphysique», c’est-à-dire dans les années 1910, Giorgio de Chirico a réalisé des œuvres très simples en apparence mais beaucoup plus inquiétantes à l’analyse. Il s’agit d’univers colorés dans lesquels se déploient des architectures monumentales, marquées par d’interminables successions d’arcades aux perspectives parfois aberrantes. L’artiste nous laisse ainsi, seuls, face à des vides interminables.

D’autres voient, dans ces paysages vides mais hantés, la marque de la mort précoce du père du peintre. Quoi qu’il en soit, ceux qui ont arpenté le vertigineux labyrinthe d’Ico reconnaîtront sans peine cette influence. On retrouve dans le château les mêmes sensations de gigantisme, d’abandon et de solitude. Une impression renforcée par la caméra placée en plongée sur les deux héros et les séquences pendant lesquelles ils doivent franchir des gouffres abyssaux.

Enigmes :
Les tableaux de Chirico reprennent souvent le terme «énigme» dans leurs titres. Ico est un jeu lui aussi basé sur des énigmes. L’ensemble donne une impression de fin de journée, voire de déclin.

Ainsi, « L’Énigme d’une journée » , une des œuvres les plus célèbres de Chirico, évoque un monde disproportionné et abandonné, qui ne serait plus peuplé que de quelques silhouettes écrasées par l’immensité des lieux. Il n’y a ni eau ni verdure autour de ces édifices titanesques, rien que des ombres trop allongées. Au loin, on distingue deux fragiles silhouettes noyées dans la disproportion. Ce couple minuscule se retrouve également dans «La Nostalgie de l’infini » ou « La Grande Tour ».

Ces personnages à la fois seuls et solidaires, perdus dans le gigantisme des lieux, font penser à Ico et Yorda tentant de fuir main dans la main la solitude de cette forteresse. Ils doivent pour cela faire face à la Reine noire, qui ressemble à une ombre en mouvement et qui veut les garder captifs. Ainsi, ces deux univers oscillent entre ombre et lumière, comme pour en exagérer le contraste.

En conclusion :
Avec Ico, Fumito Ueda prouve que l’univers et l’imaginaire d’un peintre peuvent enrichir l’atmosphère et les mécanismes d’un jeu.
Le designer n’a pas seulement emprunté au peintre son univers mélancolique et tyrannique. Certains aspects du gameplay d’Ico se retrouvent eux aussi dans les tableaux du maître.
Ce dernier a ainsi peint des toiles sur le thème d’Ariane. Dans la mythologie grecque, elle est la fille du roi Minos qui retient Thésée dans son labyrinthe. Amoureuse de lui, elle lui indique la sortie grâce à une bobine de fil. Dans le jeu, Ico (la personne qui joue) guide Yorda en la tenant par la main. Mais c’est la jeune fille qui détient la clé de la liberté, puisqu’elle est la seule à pouvoir ouvrir les portes magiques pour s’échapper.

Ainsi l’œuvre et les personnages de Fumito Ueda sont étroitement liés à l’art de Giorgio de Chirico. Le jeu vidéo fait alors preuve de beaucoup de maturité en égalant son maître, la peinture.

Note : Cet article est un résumé d’un dossier sur le jeu vidéo et la peinture paru dans le douzième numéro d’IG mag.

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